Mai juin l940

 

 

Le dix mai l940 reste gravé dans la mémoire de ceux qui l'ont vécu Pour ma part, cela commence au matin, à mon réveil, car, à treize ans, il arrive, pour certains, dont je faisais partie, de traîner au lit pendant que le reste de la famille est attelé aux travaux matinaux que nécessitent les animaux dans les fermes.

J'ai eu, en guise de réveille-matin, une violente explosion qui, quoique étant lointaine, a fait trembler portes et fenêtres.

Après m'être habillée à la hâte, je me dirigeai vers la cuisine puis dehors. Personne?...J'étais seule...Mes parents et mon frère étaient disparus ! Je n'eus guère le loisir de me poser des questions car les voila qui déboulent dans la cour en proie à une émotion intense ! Chacun y allant de son mot, j'appris ainsi ce qui s'était passé.

Dans ce clair matin de printemps, qui augurait une belle journée ensoleillée, chacun vaquait à ses occupations le coeur léger. Il y avait bien quelques avions qui évoluaient dans le ciel sans pour autant perturber nos   travailleurs. Le mouvement des appareils devenant plus insistant, les avions diminuant quelque peu leur altitude, mes parents en proie à une certaine inquiétude quittèrent leurs travaux pour aller se réfugier dans le bois tout proche, pensant y trouver un abri sûr(?).

La plupart des avions s'étant retirés vers l'est c'est-à-dire par où ils étaient venus. Un seul d'entre eux, restait à la traîne, bien visible grâce au soleil matinal qui illuminait sa carlingue de mille feux.

Tout à coup, il décrivit un large cercle dans le ciel sans nuages pour amorcer un savant piqué en direction de MONDEMENT. Arrivé à distance respectable, il lâcha sa cargaison de bombes trois au total, d'après les témoins. Une puissante explosion s'en suivit (celle qui m'avait réveillée).     

C'est seulement à ce moment-là, que les serveurs de la batterie de D.C.A., basée en bordure des bois d'ALLEMANT, reçurent l'ordre d'ouvrir le feu en direction de l'appareil, sans toutefois l'atteindre. Il put donc rejoindre son unité sans encombre.

Le calme revenu, chacun reprit son travail où il l'avait laissé, non sans avoir commenté l'événement.

Nous devions apprendre dans le courant de la journée, que les bombes avaient raté de peu le monument. Après avoir frôlé celui-ci, elles se sont fracassées une trentaine de mètres derrière, au beau milieu de la route face au château, creusant un énorme cratère. Le monument, qui n'avait pu être inauguré le six septembre l939, du fait de la déclaration de guerre, à bien faillit voler en éclats ce matin de mai ! Il a dû cependant, trembler sur ses fondations !

Le château et la plupart des maisons alentour n'avaient plus une vitre, à l'exception d'une d'entre elles, qui a conservé une de ses fenêtres intacte, pour une bonne raison, c'est que son occupant l'avait ouverte afin de mieux suivre les évolutions des avions dans le ciel. Il connut ainsi, la frayeur de sa vie en voyant l'avion piquer droit sur lui, avant de voir les bombes fendre l'air au-dessus de son toit et aller exploser à quelques dizaines de mètres de là, arrachant les battants de la fenêtre des mains de notre malheureux bonhomme plus mort que vif.

Quelques heures après, nous perçûmes une nouvelle déflagration. Renseignements pris, nous devions apprendre qu'il s'agissait d'une bombe à retardement dont l'explosion avait fait une victime, II s'agissait d'un officier venu d'un cantonnement voisin pour constater les dégâts et qui avait eu la malencontreuse idée de descendre au fond du cratère.

Je me demande encore aujourd'hui si ce pilote n'a pas voulu faire une mauvaise farce à ce témoin commémorant la défaite de l'armée allemande lors de la première guerre mondiale.

A mon point de vue, il aurait été plus stratégique de détruire la batterie de D.C.A. qui risquait de poser des problèmes à ces appareils venus folâtrer dans le ciel champenois.

Le dix mai l940 fut marqué par cet événement plutôt détonnant qui eut pour théâtre le petit village de MONDEMENT.

Pendant les neuf mois qui avaient suivi la déclaration de guerre de la FRANCE contre l'ALLEMAGNE, le trois septembre l939, on avait vécu une période relativement calme. Les journaux étant le seul moyen d'information de l'époque, ne faisaient jamais ou rarement, état de fait d'armes.

Il y avait bien eu la mobilisation générale qui avait suivi la déclaration de guerre et qui avait provoqué le départ de la plupart des hommes valides, laissant les exploitations, les usines, toutes les entreprises amputées des ouvriers, comme des patrons. Au sein des familles c'étaient les pères, les frères, les fils. Les maisons familiales s'étaient vidées d'un coup.

On assistait plus ou moins à des mouvements de troupes. Il y avait des militaires de cantonnés un peu dans tous les villages. L'atmosphère était assez sereine sauf, bien sûr, dans les entreprises où la main-d'oeuvre se faisait cruellement sentir.

Le président du Conseil de l'époque, M. Edouard DALADIER, clamait haut et fort, "Nous vaincrons car nous sommes les plus forts !". Oui ! Avec quel matériel ? Celui qui fut rescapé de la guerre de l4. Heureusement que nous n'en avons entendu parler que plus tard par ceux qui ont eu la charge de le manipuler !

Les véhicules roulants, toussaient, soufflaient et tombaient en panne au premier virage. Quant aux armes, n'en parlons pas. Les mitrailleuses qui s'enrayaient dés la première bande, imitées en cela par les fusils-mitrailleurs. La partie était loin d'être gagnée !

Ainsi ce dix mai apporta un changement notable.

Les troupes cantonnées dans les villages levèrent le camp en direction de l'est, croisant les colonnes de réfugiés venant de la BELGIQUE, bientôt suivis des ardennais. Puis vinrent ceux de la région de REIMS.

Certains étaient tout heureux de revoir ceux qui les avaient déjà hébergés quelques vingt cinq ans plus tôt.

L'inquiétude gagna alors la population. Chacun s'attendant à fuir et tout laisser. Dans les foyers on s'adonnait aux préparatifs, d'un éventuel départ. Les travaux des champs s'en trouvent quelque peu délaisses. On trie, on rassemble les objets de valeur qu'il faudra emporter ou mettre en lieu sûr afin d'être en mesure de les retrouver au retour.

Dans certaines fermes on tue le cochon pour ne pas le laisser à la convoitise des soldats tant français qu'allemands.

La viande sera mise dans de grands saloirs qui seront chargés dans la voiture à moisson, de même que ceux dans lesquels on a entassé et salé le lard.

A défaut d'autres choses, on aura toujours de la viande à manger. Quoique ... s'il fait chaud...il n'est pas du tout sûr qu'elle ne va pas tourner. Elle risque alors de devenir très vite inconsommable.

Par le bouche à oreille, on apprend bientôt, que les allemands ne sont plus guère qu'à une bonne centaine de kilomètres de chez nous. Dans le soir tombant, on charge les voitures à la lueur des "globes".Il faut veiller à équilibrer la charge, le plus lourd en premier, pas trop à "dos"et pas, non plus, "à cul", pour ne pas fatiguer les chevaux inutilement.

Tout le monde est sur les dents. D'autant plus qu’un grondement sourd, lointain, à peine perceptible, nous indique que le canon tonne quelque part, au delà de REIMS, ce qui a pour effet de galvaniser les gestes de chacun.

On entasse quelques vêtements de rechange, des couvertures aussi. Il faut prévoir de la nourriture. On vide, pour cela la réserve dont le contenu sera mis sur le dessus du chargement pour ne pas être obligés de vider la moitié de la voiturée au moment des repas. Il faut prévoir aussi de l'avoine pour les chevaux qui en auront besoin.  Pour le reste, foin ou paille, il s'en trouvera bien dans les fermes qui se trouveront sur notre route.

Les vaches sont lâchées dans la nature, ainsi que tous les animaux qui sont habituellement enfermés. C'est le cas pour les lapins, les   veaux, les cochons, s'il y en a encore. Ils arriveront, tant bien que mal à trouver de quoi survivre. Les chiens, eux, seront attachés sous les voitures tant qu'ils pourront trotter. Après, pour les plus chanceux, ils prendront place sur les voitures près de leurs maîtres. Quant aux autres...à DIEU va...

Tout est chargé ? On a rien oublié ? Allez hue ! Alors que l'aube pâli à peine la voûte céleste du côté de l'orient, le convoi s'ébranle sous le regard ahuri des animaux cabriolant dans la cour visible ment heureux de se dégourdir les pattes.

La progression de l'envahisseur est telle que nous entendons le grondement du canon très distinctement cette fois. Ce serait du côté d’ÉPERNAY. Si on ne veut pas être rattrapés au premier virage, il va nous falloir galoper. Et encore...

Il nous faut passer à OYES, chez mes grands-parents, afin de charger quelques hardes qu'ils ont préparées.

Parmi celles-ci, déposées devant la porte, trône la vieille voiture à gamin, appelée aujourd'hui, moins vulgairement, landau.

Ma grand-mère, encore alerte pour ses soixante trois ans, a décidé de suivre le convoi poussant devant elle ce véhicule inattendu comblé avec ses affaires personnelles, sa petite chienne FOLETTE attachée à celui-ci.

Le cortège s'ébranle pour de bon. La plupart des maisons d’OYES sont vides de tous occupants humains, car là aussi, on a lâché, vaches, veaux, cochons et lapins. Tout ce monde folâtre allègrement dans les rues d’OYES.

Quelques hommes sont cependant, restés au pays avec pour mission de faire le guet dans le clocher d'ALLEMANT.

La route de MONDEMENT, cahoteuse à souhait, en fait voir de toutes les couleurs aux fuyards. La malheureuse voiture à gamin fait des bonds désordonnés, haut perchée sur ses grandes roues en fer qui se croisent en roulant dans un bruit de scie à métaux qui nous malmènent bigrement les tympans. Elle risque à tout moment de perdre son chargement, mais qu'importe les "nids de poules", il      ne faut pas s'attarder.

Après avoir gravi laborieusement la côte d'ALLEMANT, nous atteignons le village qui, quoique étant, lui aussi déserté par ses habitants, voit ses rues encombrées par des colonnes. De réfugiés qui, comme nous, fuient l'ennemi.

Pour l'heure il y à un bouchon sous forme d'une voiture automobile, pleine à craquer avec trois personnes a son bord et deux gros chiens.

Le véhicule est en panne au beau milieu de la route ! La décision de dégager la voie s'impose. Pour ce faire, le conducteur en appelle à la générosité autour de lui.

La plupart des émigrés (c'est comme ça que nous les appellerons), passent leur chemin en contournant tant bien que mal l'obstacle, sourds aux supplications du naufragé de la route.

                        

Papa, n'écoutant que son bon coeur, consent, malgré les bruyantes réticences de maman (!), à amarrer le tacot derrière la voiture à moisson et nous voila partis, les deux bons vieux chevaux tirant allègrement cette charge supplémentaire.

La fuite se poursuit ainsi jusque MARIGNY dans une atmosphère que l'on devine aisément ! C'est au moment de la pause, accordée à chacun, que le "remorqué"exprime le désir de se rendre à ROMILLY, dans l'espoir de faire réparer sa voiture. Cette fois c'en est trop ! L’orage explose ! S'il veut passer par ROMILLY, qu'il y aille par ses propres moyens ! Et l'auto est dételée de derrière la voiture. Ses occupants nous regardent partir avec amertume. Les chiens, qui ne comprennent pas la situation, se font quelque peu "bousculer".

Nous nous intégrons donc de nouveau dans la file de réfugiés. Là aussi, il y a des autos en remorque derrière les voitures tirées par les chevaux. Le conducteur de ceux-ci étant probablement le seul a avoir le permis de conduire, à moins que soit tout simplement, le manque de carburant qui se fasse sentir.

Je dois revenir sur le fait de se rendre à ROMILLY, qui n'était pas du goût de tout le monde, c'est que, tant qu'on y était pas obligé, il valait mieux éviter les rassemblements qu'occasionnaient les villes Etant de temps à autres survolés par des avions suspects, des risques de bombardements, comme nous le verrons par la suite, son a craindre sérieusement.

Notre fuite se poursuit par THAAS et St SATURNIN pour arriver en fin de journée à VOUARCES où nous prenons quelque nourriture sur le pouce avant de reprendre la route.

Reprendre la route... Façon de parler, car aux véhicules de réfugiés se sont joints des engins de l'armée française avec l'inévitable infanterie. Tout cela en pleine déroute !

Alors que la nuit descend doucement, quelques gradés de cette armée en fuite fait ranger tous les véhicules civils sur le bas-côté afin de dégager la voie et durant toute la nuit nous assistons au défilé ininterrompu d'engins de toutes sortes.

Pour tous, c’est la fuite éperdue devant l’envahisseur qui, au train où il y va, ne tardera pas à nous rattraper, ne rencontrant qu'une faible résistance, la plupart des officiers supérieurs de l'armée française ayant abandonnés leurs hommes dans la nature pour se replier vers le centre de la FRANCE.

Avant de poursuivre ma narration, je dois revenir sur notre étape de VOUARCE. Ma grand-mère qui commence à subir les effets de la fatigue-elle a quand même vingt cinq ans de plus qu'en l9l4 ! Chose à laquelle elle n'avait pas pensé au démarrage décidé d'abandonner la fameuse voiture à gamin dans l'écurie aux chevaux de la ferme où nous nous trouvons. Personnellement, je le regrette. Cette pauvre trottinette qui avait été témoin de nos premiers cris, nos premières colères, à mon frère et à moi, ne méritait pas être abandonnée ainsi dans un lieu inconnu. Ma grand-mère aurait mieux fait de la laisser sous sa couche de poussière quelque part dans un coin du grenier où nous n'aurions pas manqué de la retrouver au retour.

Toute la nuit, donc, alors que nous sommes, mon frère et moi, allongés sur le haut de la voiture pour essayer de dormir. Nous subissons le ronflement des véhicules militaires qui tournent au ralenti pendant des heures en nous envoyant généreusement leurs gaz nauséabonds, de telle sorte qu’à l'arrivée à BOULAGES, aux premières heures du jour, nous descendons de notre perchoir avec une migraine que nous ne sommes manifestement pas près d'oublier.

Il nous a fallut toute la nuit pour parcourir trois kilomètres !

A BOULAGES, nouvel arrêt pour manger un morceau et boire un café à qui l'on a à peine laissé le temps de chauffer. Nouveau départ. On réattelle les chevaux qui ont eu à peine le temps de manger leur foin, eux aussi.

Nous quittons la cour de ferme où nous étions stationnés, sans regret car, sous le hangar, près duquel nous nous trouvons, subsistent les restes d'une vache abattue et dépecée sommairement dont on avait prélevés les meilleurs morceaux abandonnant les viscères et surtout, la tète dont le regard semblait nous implorer.

Le spectacle est plutôt macabre. Ce que nous ne savons pas, c'est que ce n'est qu'un avant-goût de ce qui nous attend lors de notre périple.

Nous franchissons l'AUBE et arrivons ainsi à LONGUEVILLE. C'est là que nous rencontrons Monsieur ROGER de SOIZY AUX BOIS, avec sa famille, chacun prenant son petit déjeuner au bord de la route. Papa leur conseille de nous suivre sans tarder, ce qu'ils nous promettent bien sûr.

Au croisement de la route qui mène à CHARNY LE BACHOT avec celle de MERY SUR SEINE, nous empruntons cette dernière sans trop savoir si nous sommes dans la bonne direction. Là, j'ouvre une parenthèse : tant que nous étions dans le département de la MARNE, nous nous guidions d'après la carte du département, prélevée dans le calendrier des postes. Mais une fois dans le département de l'AUBE, nous n'avons plus rien pour nous indiquer la route à suivre. Après quelques kilomètres parcourus dans la plaine auboise, nous rejoignons une route qui vient précisément de CHARNY. La circulation y est très dense. Nous nous infiltrons dans la colonne et nous voila partis à la queue leu leu, c'est le cas de le dire. Le nez des chevaux sur l'arrière de la voiture qui les précèdent et ainsi de suite.

Là encore des véhicules militaires se trouvent mêlés aux équipages civils.

Quelques avions tournoient dans le ciel, quand ils lâchèrent tout à coup, quelques bombes sur le village de CHARNY, semant la panique dans notre colonne à quelques kilomètres du bombardement.

Des motos avec side-cars nous dépassent à toute vitesse alors qu'au même moment un de ces avions nous survole à la recherche d'éventuels véhicules militaires.

Heureusement que ceux-ci, plus rapides que nous, nous avaient devancés. Je me demande, dans le cas contraire, ce qui se serait passé.

 

 

 

Avant que l'appareil n'ai terminé sa prospection, des militaires à bord d'un de ces side-cars s'arrêtent à notre hauteur et le passager ne trouve rien de mieux que de tirer en direction de l’appareil, un avion italien), avec son fusil-mitrailleur à moins que ce ne soit tout simplement son mousqueton, je ne me souviens plus très bien.  Toujours est-il que la moto n'attend pas la suite et redémarre sur les chapeaux de roues avec, à son bord, deux imbéciles fiers de leur coup (!).

Bien entendu, l'avion fait demi-tour et se met à arroser le cortège de réfugiés. Les balles crépitent provoquant une grosse frayeur parmi ceux-ci.

Je ne sais pas si l'on doit attribuer à la chance ou au fait que le tireur voulait simplement nous faire peur, toujours est-il que personne ne fut atteint par les projectiles.

Tout en continuant notre progression en direction de MERY SUR SEINE, nous constatons que, à quelques centaines de mètres de l'endroit où nous trouvons, c’est-à-dire, comme nous l'apprendrons plus tard, sur la route d'ARCIS SUR AUBE, d’autres voitures d'émigrés s'en vont à l'inverse de notre sens de marche.

Décision est donc prise de rejoindre cet itinéraire sans passer par MERY. Nous voila donc partis à travers champs. Arrivés au bord de la route d'ARCIS, les voitures sont rangées sous deux ou trois arbres qui se trouvent là, nous procurant un abri plutôt précaire, afin de laisser les chevaux souffler un peu.

Des avions surgissent à nouveau d'on ne sait où et nous assistons au bombardement de MERY que nous avons eu la bonne idée d'éviter.

Un side-car, encore un ! S'arrête dans l'entrée d'un chemin de l'autre côté de la route juste en face de nous. Selon le même scénario que tout à l'heure, l'un de ses occupants se saisi de son arme et s'apprête à rééditer l’exploit pendable d'il y à quelques minutes. Il n'en a pas le temps car, inondés d'invectives par les membres de notre équipe, les deux lascars n'ont d'autre alternative qu’à remballer et prendre le large. Je me demande encore aujourd'hui ce qui ce serait passé là aussi .

Durant notre court arrêt nous assistons à l’étonnant manège des occupants d'une mystérieuse voiture équipée de six roues et ne ressemblant pas à celles de l'armée française. Les militaires qui se trouvent à bord, sont vêtus d'uniformes vert de gris et l'officier, muni de jumelles, inspecte la plaine qui s'étend devant nous, c'est-à-dire, en direction des lignes françaises. Nous l'observons bêtement, sans dire un mot, sans penser un instant, que notre périple aurait pu s'arrêter là !

La voiture en question, qui s'était arrêtée, elle aussi, à l'entrée du chemin, repart en direction d'ARCIS. Ce n'est qu'après son départ que nous réalisons que nous avions affaire à des militaires allemands et qu'il était inutile d'aller plus loin, vu que l'ennemi nous avait rattrapés. . .

Suite au bombardement de MERY, nous voyons arriver un attelage sans charretier. Celui-ci coure à sa poursuite et nous reconnaissons en lui un employé de la ferme du château de SOIZY AUX BOIS. Il est très choqué par l'épreuve qu'il vient de subir. Il nous apprend aussi, que Monsieur ROGER qui avait pris la direction de CHARNY LE BACHOT, s'est trouvé sous le bombardement dans lequel il a perdu sa mère et deux de ses enfants.

Le reste des attelages de SOIZY nous ayant rejoints, nous reprenons la route en direction d'ARCIS. Nous resterons ensemble le reste du "voyage".

Nous arrivons à POUAN LES VALLEES où nous arrêtons pour prendre un peu de nourriture. Ici aussi, le village a été bombardé. Le désordre qui règne dans les rues en témoigne.

Par d'autres personnes arrivées avant nous, nous apprenons que le boulanger du village, resté sur place, a cuit du pain. Il n'en sert qu'un de trois livres par famille. En se rendant à plusieurs à la boulangerie nous avons la chance de rapporter du pain pour quelques jours.

Nouveau départ, en direction de RILLY-STE-CYR, en passant par les GRANDES CHAPELLES où nous nous retrouvons dans un nouvel embouteillage ! Nous sommes de nouveau arrêtés pour laisser le passage aux troupes françaises en pleine débandade.

Immobilisés ainsi dans les rues du village, nous aurions, nous aussi, pu faire de belles cibles si par malheur des avions ennemis avaient surgi à ce moment-là !

Profitant de cet arrêt forcé, mon frère s'introduit dans une maison inoccupée à la recherche d'un... calendrier des postes afin d'avoir une carte du département qui devait s'avérer bien utile par la suite.

 

Dans le courant de la matinée, il nous est permis de reprendre la route et nous atteignons RILLY-STE-CYR dans l'après-midi. Un affreux spectacle nous y attend : des bombardiers sont aussi passés par-là. Ça et là, des attelages encombrent les rues : voitures éventrées, chevaux, des bêtes superbes tués ou blessés avec leurs conducteurs gisant sur le bitume, tués eux aussi. Aucun être vivant, tout le monde avait fuit.

Par les plaques des voitures auxquelles les malheureuses bêtes sont encore attelées, nous apprenons que ce que nous avons sous les yeux est en fait une partie d'un ensemble de véhicules appartenant à la prestigieuse "maison" de Champagne d’ÉPERNAY, MOET et CHANDON.

Au sortir de RILLY, comme la journée tire à sa fin et que, pour l'ensemble de notre troupe, les animaux comme les humains, la fatigue se fait de plus .en plus sentir, nous décidons de quitter la route qui conduit à TROYES et nous prenons un chemin qui nous mène vers une plantation de peupliers au bord d'un cours d'eau. Les voitures sont rangées sous les arbres et les chevaux dételés. Nous avons l'intention de passer la nuit sous les frondaisons.

A peine les hommes ont-ils eu le temps d'attacher les chevaux, alors que la route que nous venons de quitter est toujours encombrée de fuyards tant civils que militaires, des avions surgissent, mitraillant la longue colonne qui s'étire au loin. Apparemment il n'y eut pas de victimes, le convoi ayant reprit sa progression. Seul un cavalier s'est dirigé à l'écart de la route et descendu de sa monture, s'est adossé à un tas de foin pour ne plus en bouger. Le lendemain au matin, il était toujours là avec sa monture restée à ses côtés. Papa décida alors, malgré les risques encourus, d'aller se rendre compte sur place s'il y avait quelque chose à faire pour ce soldat qui était certainement blessé. A son retour avant qu'il eut parlé nous compriment qu'on ne pouvait plus rien pour le malheureux.

La mémoire me revenant tout à coup : Ce ne sont pas des avions qui ont mitraillé la colonne de réfugiés, comme la route serpente à flanc de colline, elle est visible de loin et c'est une batterie d'artillerie qui a envoyé des obus fusants. Quelques shrapnells sont tombés non loin de nous dans les arbres.

Nous étions serrés au pied des peupliers et personne n'osait bouger.

Peut-être que si quelqu'un s'était rendu à ce moment là auprès du blessé, il pu le secourir. Pour l’heure c'était trop risqué et puis, il est peut-être mort en arrivant-là.

La nuit passée dans cet oasis de fraîcheur nous a fait beaucoup de bien quoique ayant été réveillés aux aurores par la faune occupant les lieux, principalement les oiseaux qui ignorent les conflits des humains.

Nous sommes dans l'incertitude. Personne n'a envie de continuer le périple. Nous décidons de rester sur place et voir venir...C'est à ce moment qu'une voiture militaire quitte la route et vient à notre rencontre. Il s'agit d'un officier allemand qui nous dit dans un mauvais français "Rentrez chez vous." C'est alors que nous réalisons que depuis MERY nous avons faits tous ces kilomètres pour rien !

La voiture en question est en tous points identiques à celle vue à MERY la veille !

Les chevaux sont réattelés illico et nous voila de nouveau sur la route, en sens inverse cette fois. Nos attelages, reposés, repartent d'un pas allègre. Le sourire est revenu pour chacun de nous.

Les rues de RILLY sont en partie débarrassées des victimes du bombardement. Il flotte néanmoins, une désagréable odeur dégagée par des cadavres de chevaux gisant ça et la, que l’on n’a pas eu le temps d'enlever. La chaleur intense de ce début de juin n'est pas faite pour arranger les choses.

Nous reprenons la direction des GRANDES CHAPELLES que nous atteignons sans encombre. Le village est beaucoup plus rapidement traversé qu'à l'aller, ses rues étant nettement moins bouchées que la veille.

A PREMIERFAIT, le village suivant, décision est prise d’emprunter un chemin de terre qui est censé nous faire gagner quelques kilomètres en nous emmenant vers la route MERY-POUANT LES VALLEES. Il y a cependant un hic et il est de taille : L'armée française, talonnée par l’armée allemande avait dû abandonner du matériel qui risquait de ralentir sa fuite. Si la plupart des engins immobilisés sur le bas-côté, ne nous gênaient pas trop, il n'en est pas de même    pour celui qui obstrue le chemin en question car il s'agit d'un caisson chargé d'obus de 75, m’a t-on dit ! Dans mon souvenir, je les vois plus gros que ça !

Les hommes de notre groupe s'attellent après le dangereux véhicule pour libérer le passage, sous nos yeux extrêmement inquiets. C'est le moins qu'on puisse dire...

 

L'opération se déroule dans un silence de mort, nous avons tous la gorge tellement serrée qu'aucune parole n’est prononcée. La manoeuvre enfin terminée, nous respirons un grand coup tout en reprenant lés couleurs que nous avions plus ou moins perdues. Nous ne sommes pas transformés en chair à saucisses. C'est déjà bien ! Cela aurait très bien pu arriver si, malheureusement l'un de ses obus avait glissé du haut du chargement.

Le fameux chemin que nous empruntons a dû être le théâtre de certains événements à voir le butin dont il est jonché tout au long de son parcours. Il y a là, pêle-mêle, des objets tant civils que militaires. Vraisemblablement il avait fallu fuir devant l'ennemi qui approchait dangereusement. Pour aller plus vite, on avait déchargé les voitures. Quelle dérision ! Les chevaux n'étaient pas aptes à gagner la course contre les véhicules motorisés bien plus rapides qu’eux !

Nous atteignons la fameuse route et, je me pose encore aujourd'hui cette question : Pourquoi avons-nous emprunté ce chemin de terre ? Parce qu'une fois sur la route, nous partons en direction de POUANT LES VALLEES.

Nous avons fait un grand détour alors qu'une route nous conduisait directement à POUANT.

Nous nous installons dans une ferme de ce village pour y passer la nuit. Pour ma part, j'ai dormi chez une personne âgée qui n'avait pas quitté sa maison. Peut-être n'avait-on pas proposé de l'emmener. Ou n'avait-elle pas voulu quitter son bien. Je n'ai jamais su le pourquoi.

Près de là se trouve une importante bâtisse toutes portes et fenêtres ouvertes, comme c'est le cas pour toutes les maisons inoccupées d'ailleurs, de la rue on aperçoit la table garnie d'abondantes victuailles auxquelles on avait à peine touché. Delà a conclure qu'ici aussi, le départ a dû être précipité. De bonnes bouteilles trônaient au milieu de la table, tout juste débouchées et même pas entamées.

POUANT a comme différentes localités de la région, subies bombardements. Les rues sont là aussi encombrées de voitures à chevaux que l'ont avait dételés et emmenés en laissant tout le chargement,soit dans les voitures ou à même le sol des sacs d'avoine,de blé voisinant avec des saloirs éventrés qui laissent apparaître leur contenu de viande et d'énormes carrés de lard ( ?).

VIAPRES. Cette localité est restée à jamais gravée dans la mémoire de chacun d'entre nous. Quittant POUANT-LES-VALLEES, nous nous engageons sur la route en direction de VIAPRES LE PETIT. Le moral est au beau fixe. Chaque pas, chaque tour de roue nous rapproche de la maison. Nous arrivons ainsi à VIAPRES LE PETIT. Là il y à l'AUBE (la rivière) à traverser ! C’est alors que nous découvrons le pont que nous devons emprunter... Les mines s'allongent. Nous sommes tous là à nous demander si celui-ci va supporter le poids de notre convoi ?

Lui aussi a subi les bombardements. Il est arraché par la moitié, sur toute sa longueur. Il n'est pas beau à voir. Les voitures qui nous précèdent s'enhardissent néanmoins sur le frêle édifice qui enjambe la rivière.

II faut le voir tanguer le malheureux ! Ceux qui ne sont pas tenus à la conduite des attelages, attendent... moi la première... que la voie soit libre pour nous engager à notre tour. Le franchissement de la rivière s'effectue cependant sans encombre. Personne ne songe à aller voir d'où l'on vient. Je dois signaler au passage, que ce pont était en bois.  De là nous prenons la direction de PLANCY où nous empruntons la route de SALON, GOURGANCON, CORROY pour arriver en fin de journée à CONNANTRE où nous passons la nuit chez un cultivateur qui était resté chez lui.

Auparavant, on nous avait conseillé de nous rendre au château, occupé par l'armée allemande et que les cuistots des popotes distribuaient généreusement des victuailles*

A voir leur allure joviale, on se demande pourquoi ces bombardements ? Pourquoi ces victimes innocentes ? Alors qu'ils n'avaient rencontré qu'une résistance franchement nulle ?

La dernière étape se déroule allègrement. Les chevaux malgré la fatigue, marchent d'un bon pas. Ils doivent '. Sentir l’écurie !

Dans les villages que nous traversons, il règne une certaine activité : les quelques familles qui sont de retour, s’affairent à remettre un peu d'ordre dans les chaumières, car elles ont été visitées, fouillées au possible.

Partout règne un désordre indescriptible.

Le retour à MONTALARD nous permet de retrouver les vaches qui folâtrent dans les cultures avoisinantes.

On récupère les lapins, les volailles, enfin, ce qu'il en reste, car le renard semble  avoir bien profité de la situation !

Je n'ai pas parlé de l'accueil de MIRAUD ; le bon vieux griffon que nous avions laissé à la maison. Il n'avait pas cherché à nous suivre lors de notre départ, il pensait nous voir rentrer à la fin de"l'attelée", qui s'était prolongée, non pas de quelques heures, mais de quelques jours... Depuis le temps, je ne me souviens pas exactement des dates.

Chez nous aussi, la maison a été visitée, mais de façon plus discrète que dans les villages traversés lors de notre retour.

  Un détachement de cavalerie avait fait halte en bordure du bois proche de la maison. Les hommes de la section étaient venus à la maison chercher du fourrage et de l'avoine pour leurs montures. Ils en avaient profité pour fureter de droite et de gauche afin de découvrir quelqu'objet qui put les intéresser, ou tout simplement qui sait ?  de quoi manger.                                                                             

Au vu des traces laissées au bord de la mare, ils avaient amenès leurs chevaux pour les faire boire.

Là aussi, la retraite a dû être précipitée, car les restes de foin et d'avoine qui jonchent le sol auxquels ils avaient à peine touché » étaient presque intacts.

Le comportement de Miraud nous a quelque peu étonnés : ce fut à l'occasion d'un orage que nous avons constaté un certain changement dans son attitude, lui qui auparavant ne manifestait aucune réaction au grondement du tonnerre, s’affolait dès qu'il entendait un grondement lointain. Nous en connûmes la raison en découvrant des trous d'obus de place en place aux alentours de la maison. On devine aisément la grosse frayeur que dût connaître le malheureux, qui devait se sentir abandonné par ses maîtres!...

Lors de notre départ pour l’exode, comme je l'ai noté au début de mon récit, quelques hommes de OYES sont demeurés sur place étant réquisitionnés en vue de prendre chacun leur tour de garde au clocher d'ALLEMANT. Je ne sais même pas s'ils y sont allés ! Quoiqu'il en soit, pour certains d'entre eux, ils ont profites de l'occasion qui s'était offerte, les habitations étant désertées pour s'équiper en outillage ainsi qu'en batterie de cuisine'.

Ma grand-mère en a eu la preuve flagrante lorsque se rendant chez l'un de ces "guetteurs" occasionnels tout à fait incidemment à l'heure de la soupe. Celle-ci était servie, devinez dans quoi ? Ben dans sa soupière pardi ! Alors qu'elle l'avait cherchée partout.

Après l'obligatoire transvasement de la fameuse soupe, ma grand-mère est rentrée triomphalement à la maison sa soupière sous le bras ! Cela a dû être de la soupe à la grimace, vu les circonstances !

La soupière n'est qu'une anecdote parmi d'autres, car, au fil des jours, il lui a été donné de récupérer maints objets qu'on avait bêtement laissés traîner. Le vieux, appelons le comme ça, se défendait maladroitement, disant qu'il avait trouvé toutes ces choses au retour d'absences obligées, ayant été appelé hors de chez lui. Heum' oui.» C'était venu tout seul, comme ça, chez lui...

Ma grand-mère ne fut pas la seule à avoir des surprises, une autre personne âgée, rentrant elle aussi, de l'exode, connu la frayeur de sa vie : alors qu'elle franchissait le seuil de sa maison, elle entendit de puissants ronflements provenant de sa cave. Affolée elle couru chez les voisins en disant toute tremblante :"ll : y a un boche dans ma cave, je l’entends ronfler. Le voisin, n’écoutant que son courage se rendit sur les lieux armé d'une fourche pour parer à une éventuelle attaque. Il descendit bravement les escaliers pour découvrir, non pas un boche^ce à quoi il s'attendait, la forme écroulée au bas des marches, était bien française et féminine de sur croit : il s'agissait d'une voisine, ivrogne notoire, qui avait trouvé du liquide à son goût et avait dégusté hors mesure.

Des anecdotes comme celles-ci, je pourrais en citer beaucoup d'autres, plus ou moins gaies plus ou moins tristes. Peut-être plus tard...

Pour l'instant, voici dans les grandes lignes, ce que j’avais à dire sur cet exode qui nous a emmenés à quelques dizaines de kilomètres de chez nous, pendant ces quelques jours qui nous ont paru§ une éternité.

En comparaison avec ce qu'ont subi certaines familles, Nous ne sommes pas les plus à plaindre.

Voici, peut-être un peu brièvement, ce que j'ai pu rassembler comme souvenirs de cette phase de la guerre de l939-l940.

A cette époque, nous étions loin de penser que la paix ne reviendrait que seulement cinq ans plus tard.

Nous avons eu ainsi, tout loisir de nous familiariser avec des termes comme par exemple: prisonnier de guerre, captivité, restrictions et enfin cette gestapo qui arrêtait et torturait à tours de bras,des hommes,des femmes et des enfants avant d'approvisionner les fameux camps de la mort avec cette marée humaine dont certains éléments avaient pour seul tort d'être nés juifs,alors que d'autres avaient plus ou moins fait de la résistance contre l'occupant. Le pire était quelquefois quand certains étaient victimes de dénonciation de la part d'un voisin qui agissait ainsi pour se venger parfois d'un différent ou seulement une broutille envers une autre personne avec il était brouillé. Certains cas ont été constatés dans la région. C'est très difficilement croyable ,c'est malheureusement on ne peux plus vrai.

 

 

 

Arlette DAGNEE   Mars 2004