OYES

 

L' AVION

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C'était la guerre avec ses misères; l'occupation par l'armée allemande, la captivité pour la plupart des chefs de famille et des jeunes de plus de vingt ans, quelque part, loin dans les stalags.

Le S.T.O (service du travail obligatoire), en Allemagne pour les autres jeunes, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas encore effectué leur service militaire. Il y avait aussi la déportation dont on parle encore aujourd'hui et bien sur les restrictions avec, du même coup, le marché noir.

Il y avait aussi le flot de réfugiés venant des villes côtières que les bombardements avaient chassés de chez eux.

Il y en avait jusqu'en Champagne. OYES avait les siens comme les villages environnants. Le prieuré de saint Gond était pour sa part habité par une famille de ces déracinés. Il y avait là, les  grands-parents, les  filles et belles-filles sans leurs maris prisonniers en Allemagne et enfin leur progéniture.

La plupart de ces gens venaient de Boulogne, du Touquet. Ceux de OYES venaient de Calais.

Toutes ces villes étaient soumises à un bombardement intensif de la part des avions américains et anglais afin d'affaiblir les armées allemandes qui occupaient la France depuis quatre ans.

Cela en prévision du débarquement du 6 juin 1944.

J'ai développé ce préambule à l'adresse des jeunes à qui on a  omis d'expliquer ce qu'avait été la guerre de 39/45, car beaucoup  semblent l'ignorer encore aujourd'hui.

Or, ce dimanche 11 avril 1944, chacun vaquait à ses occupations.

Soit aux champs, soit aux vignes ou tout simplement au jardin pour  les femmes, pendant que le repas de midi mijotait sur le coin du fourneau. Certaines d'entr'elles accompagnaient les enfants à la messe dominicale. C'était quand même le jour du seigneur et si certains semblaient l'avoir oublié, d'autres  avaient à cœur d'adresser une prière à la sainte Vierge pour 1'hypothétique retour du mari, du père, du fils ou du frère.

Tous, écoutaient l'évangile avec plus ou moins de ferveur, le regard un tantinet dans le vague, dodelinant la tête face au bon curé qui s'efforçait de convaincre ses fidèles de croire en la grâce de Notre Seigneur malgré les horreurs de la guerre.

Tout-à-coup, un bruit, d'abord imprécis, se fit entendre. Un ronronnement lointain, à peine perceptible  et qui prenait de l'ampleur au fil des secondes , résonna sous les voûtes de l'église. Personne ne prêta trop attention à ce bruit devenu, au fil des années plutôt coutumier. Depuis quatre ans, on en avait vu passer de ces avions!!

Ces fameuses Forteresses volantes qui allaient presque quotidiennement déverser les tonnes de bombes contenues dans leurs flancs sur les points stratégiques que comptait l'Allemagne.

Ces avions étaient groupés selon un ordre précis . Les groupes avaient la forme de losanges formés par douze ou seize appareils je ne sais plus très bien. Je ne me souviens pas davantage du nombre de ces figures géométriques. Tout ce que je sais, c'est que cela faisait un sacré paquet de bombes.

La D.C.A.(défense contre avions).pouvait envoyer autant d'obus qu'elle voulait en direction des appareils, ceux-ci ne déviaient pas d'un pouce de leur itinéraire. Au milieu d'eux, par contre, virevoltaient des avions de chasse qui étaient là pour contrer une éventuelle attaque de la part de l'aviation allemande.

Les avions étaient tellement hauts que l'on distinguait à peine les chasseurs dans le ciel.

Le passage de-ces avions était régulièrement salué par les tirs de la D.C.A.. Ce matin là, le crépitement des tirs de mitrailleuses se mêla aux coups de canon. La raison réside dans le fait que deux ou trois zings allemands avaient reçu l'ordre, saugrenu, d'attaquer une escadrille bien supérieure en nombre!

Du sol on ne pouvait identifier les Combattants. On n'en avait guère le loisir, car il était prudent de chercher un abri, une balle perdue pouvait être dangereuse,, Ce n'était pas évident surtout pour le charretier qui avait un attelage dans les mains et ne pouvait pas lâcher les rênes sans une certaine appréhension, les bêtes supportant mal le vacarme. Il fallait les surveiller de près, voire même les calmer.

La messe tirait à sa fin avec, en fond sonore les échos du combat aérien qui se déroulait dans le ciel matinal.

 

C'est à ce moment là qu'un ronflement couvrit les bruits précédents.

C'était un bruit de moteur entrecoupé de ratés. Oh! Cela n'a pas duré longtemps! Tout de suite une sourde explosion fait sursauter tout le monde y compris le brave curé.

Il y à un avion de tombé à saint Gond!! cette phrase se répète à l'infini.Tous, enfin...les gens valides, se dirigent vers saint Gond. Les hommes ont quitté plus ou moins leur travail et la plupart des fidèles ont en sortant de la messe, eux aussi pris la direction de saint Gond.

Arrivés à proximité, tous ces gens se trouvent en présence d'un homme complètement tourneboulé ! Il s'agit, d’un grand-père calaisien qui vient de connaître la frayeur de sa vie! Le récit qu'il s'évertue a expliquer aux arrivants est plutôt embrouillé et pour cause;

L'émotion ressentie, mêlée à son accent ch'ti fait un mélange tellement inexplicable que personne n'y comprend goutte!

La réalité est que l'appareil dût être touché au dessus de la région de Sézanne et, perdant rapidement de l'altitude il surgit à l'a pic de Mondement et fonça en direction de Villevenard en dégageant une impressionnante traînée de fumée noire. Mais il n'alla pas jusque là. Le pauvre septuagénaire vit avec terreur l'avion foncer droit sur lui .11 crut bien sa dernière heure venue. Après avoir sectionné deux peupliers au dessus de sa tête dans un fracas épouvantable, l'appareil s'est  fiché en. terre juste derrière sa maison. Le pauvre homme était vert de peur! Il est aisé de comprendre son état d'esprit après un choc pareil! le zing, un avion allemand, était planté presqu'à la verticale, le moteur complètement enfoui dans le marais. Le jeune pilote était coincé dans le copkit disloqué. Disloqué, il l'était lui-même,  sa tête était arrivée entre ses genoux. Il avait beau être un ennemi, la vision de ce corps écrasé ne devait pas s'effacer de l'esprit de ceux qui l'ont découvert. "Du moins, pas de sitôt.

Les services de l'occupation, rapidement sur les lieux dégagèrent la dépouille du malheureux il avait tout juste vingt ans- et le déposèrent, dans un premier temps, à la remise à pompe transformée pour la circonstance en chapelle ardente. De pieuses personnes lui apportèrent quelques fleurs et récitèrent des prières pour le repos de son âme.

Un cultivateur de Oyes, avec son attelage de bœufs,  fut mandé pour extraire l'épave prisonnière de la tourbe; mais les pauvres bêtes, stimulées à grands coups d'aiguillon, eurent beau bander tous leurs muscles et souffler à qui mieux mieux, ils ne purent bouger l'amas de ferraille.

La carcasse fut finalement déterrée à l'aide de matériel de 1'armée d'occupation et le cratère resta en l'état encore de longues années. Il fut envahi par les broussailles et ce n'est que récemment que la municipalité décida de le combler avec des résidus provenant des travaux de voiries

Arlette DAGNEE ( mars 2002)