LE PELERINAGE OUBLIE

 

 

La population de la périphérie des marais de Saint Gond a, au cours des siècles, toujours vécu dans la vénération de ce saint, à qui chacun reconnaissait ses pouvoirs miraculeux de guérison.

Cette croyance perdure ainsi jusqu’à nos jours. Même si la dévotion s’émousse au fil des années, il n’est pas interdit de considérer le saint homme avec le plus profond respect.  Aussi loin que me reportent mes souvenirs, je revois le pèlerinage qui avait lieu chaque année, le lundi de la Pentecôte, en son honneur.

La célébration commençait par les vêpres chantés à l’église de Oyes à l’issue desquels, les jeunes garçons du village chargeaient sur leurs épaules une sorte de civière qui soutenait la châsse contenant les reliques du saint, suivis par une autre groupe qui portait, de la même façon, son « chef », ainsi nommé dans les écrits anciens, à ce sujet le buste du saint est représenté comme étant celui d’un évêque qui renferme, lui aussi, quelques ossements. Il est à noter que les bras conservés en l’église  en contiennent de même, les fragments.

Précédées par la bannière portée par les jeunes filles, ces saintes reliques prenaient le chemin du prieuré qui avait succédé au monastère, qui, lui-même, avait remplacé l’abbaye ainsi appelée à l’origine.

Suivait alors une longue procession composée de fidèles de la paroisse, mais aussi des villages environnants venus nombreux en carriole, en vélo, pour ceux ou celles qui en possédaient ou, tout simplement à pied. Les cantiques interprétés avec ferveur par les participants résonnaient bien au delà des marais. Parfois, le cortège s’arrêtait au calvaire d’où avaient étés pieusement recueillis ces ossements au X° siècle, en 959 très précisément, par une sainte femme nommée Eve, sœur de  Valdéric archevêque de Reims et d’Albéron évêque de Metz, pour être placés dans la châsse que nous connaissons.

 

 

Cette personne très pieuse fit placer la châsse dans l’église dont elle avait ordonné la construction afin de remplacer celle de Saint Pierre primitivement édifiée sur les lieux même de l’abbaye et qui fut victime des outrages des multiples invasions qui eurent lieu au cours des siècles et la fit consacrer en l’honneur de Saint gond. Cette dernière devait, présentant des signes manifestes de vétusté, être définitivement démolie, au début du XIX° siècle. Les reliques furent, naturellement, rapportées à l’église de Oyes qui les abrites encore de nos jours

Le calvaire  où furent recueillis ces restes  se trouve à peu près à mi chemin entre l’église et le monastère.

Après quelques cantiques,  les fidèles reprenaient la route du retour.

Avant de poursuivre mon récit, je dois ici, ouvrir une parenthèse :

Les années précédant la deuxième guerre mondiale, des chantiers s’ouvraient un peu partout pour construire des dépôts d’armement, essentiellement des munitions en prévision de celle-ci qui menaçait. Or, un village proche de Oyes, nommé Allemant (comme par hasard), avait son chantier que nous devions appeler la poudrière. Il s’agissait de creuser la colline boisée bordant la route qui conduit à ce village. Pour ce faire, il fallait, bien sûr de la main d’œuvre pour mener à bien cette réalisation. Les ouvriers de la région, surtout des maçons qui se trouvaient au chômage du fait de la menace de guerre qui n’incitait pas les propriétaires à investir dans le bâtiment qui avait beaucoup souffert vingt ans plus tôt.

Quel rapport avec la procession me direz-vous ? Eh bien ! Il y en a un. Outre les habitants de la région, d’autres ouvriers venant d’assez loin, devaient prendre pension chez les cafetiers des proches villages, ceci pour être à proximité de leur lieu de travail.

 

  

 

Pas tous, mais certains n’avaient rien a faire de l’église catholique.

La procession devait donc emprunter la route qui conduit à Saint Gond et qui passe entre les deux cafés du village. Ces individus se promettaient, au passage de celle-ci, d’entonner, non pas des cantiques, mais une chanson à eux qui n’était autre que l’Internationale.

Et ainsi, jouer un bon tour à ces « grenouilles de bénitier », selon leur propre expression ! Ils en riaient d’avance.

Ce ne fut pas sans une certaine appréhension que la cérémonie démarra ce lundi de Pentecôte que je situerais en 1938 ou 1939, et se déroula, cependant dans la plus grande quiétude. Aucun chant impie à l’horizon ! Il faut préciser que des spectateurs inattendus se tenaient à l’endroit critique et ces spectateurs ne donnaient nullement envie de se faire remarquer.

Quelqu’un, soit le maire ou tout simplement la tenancière de la pension, qui avait de bonnes raisons de craindre pour son commerce, avait discrètement, prévenu la gendarmerie qui avait déplacé quelques éléments de sa brigade. Si la fameuse chanson a été interprétée cela fut, bien sûr, en sourdine.

 

 

Certaines années, la procession se poursuivait jusqu’au prieuré où des bancs étaient placés dans l’entrée de celui-ci et les vêpres avaient lieu sous les frondaisons qui ombragent, encore de nos jours, ce site remarquable qui connut au fil des siècles bien des guerres inévitablement accompagnées de ruines, assassinats  et autres horreurs.

 

  

 

Si les légendaires grenouilles, à cette heure de la journée étaient silencieuses, la gent ailée peuplant les branchages feuillus, ne se privait pas de participer aux louanges qui s’envolaient vers le tout puissant.

 

Sans doute suite à l’incident cité précédemment, qui constituait une menace au bon déroulement de la, plusieurs fois séculaire, cérémonie, la procession changea, totalement de direction. Les années suivantes, elle tourna délibérément le dos au prieuré pour se diriger carrément à l’opposé pour s’arrêter à la sortie de l’agglomération.

La présence des débits de boissons, dont il a été fait mention plus haut, n’y est peut-être pas étrangère non plus. Car pour l’église catholique, ces établissements sont, ni plus ni moins, des lieux de débauche. Cette information m’a été fournie récemment.

La procession dura encore pendant la guerre et quelques années après, pour finalement tomber dans l’oubli.

Pas tout à fait, s’il n’est plus question de cérémonie sur les lieux même de l’ancien prieuré, au cours de la messe de la Pentecôte, qui est désormais célébrée dans d’autres paroisses, hommage est toujours rendu au saint connu et unanimement vénéré dans la région de ses marais. Il y a quelques décennies, les saintes reliques ont de nouveau quitté leurs niches afin d’être exposées dans une paroisse des environs où des neuvaines de prières ont été dites à leur intention, alors qu’une terrible maladie affectait les enfants et adolescents du village. Le miracle se produisit à la grande joie de tous. Cette terrible maladie avait pour nom : Poliomyélite.

 

                                     A.D.  13-06-2009          

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