Une histoire de cloche,
Chaque année, le même cycle se reproduit au fil des saisons. Pour l’heure, nous sortons de l’hiver, la nature s’éveille doucement. Les bourgeons jouent timidement des coudes pour se dégager du corset protecteur qui les a abrités des grands froids.
Les perce-neige qui, les premières avec les roses de Noël ont annoncé le renouveau, commencent à se flétrir ; alors que les jonquilles éclatent de mille feux pour illuminer les jardins et le pied des haies pour nous faire oublier les journées sans soleil car il y en à encore, même au printemps.
Chaque année donc, à pareille époque des souvenirs d’enfance m’assaillent. Cela m’amène à parler de quelqu’un. Je dis quelqu’un, car si c’est d’un objet dont il s’agit, il est à part, ce n’est pas un objet ordinaire. Tout simplement parce qu’il a un nom comme vous et moi. Suspendu dans son haut habitacle à courant d’air, il, ou plutôt, elle, car il s’agit ici du genre féminin ; oui, elle veille sur chacun de nous, ici, dans notre village. Chaque village, d’ailleurs, à cette présence discrète en son sein. Elle nous accompagne de ses gais éclats lorsqu’il s’agit d’un joyeux évènement comme un baptême, un mariage.
Elle est plus douce, plus maternelle quand nous sommes dans la peine et que nous conduisons un des nôtres à ses pieds.
Autrefois, plus qu’aujourd’hui, elle annonçait l’angélus, ou tout simplement l’heure, à une époque où le petit vacher, le berger ou tout simplement le charretier, n’avaient pas forcement tous la montre au gousset. Le travailleur des champs aimait entendre ce son plus ou moins grêle ou plus ou moins suave selon sa taille. Vous avez deviné, il s’agit bien sûr, de la cloche de l’église. Il ne viendrait à personne l’idée de l’appeler par son nom car la plupart des villageois l’ignorent.
A l’approche des fêtes de Pâques, elle est dans tous ses états. La messe des Rameaux qui nous rappelle le souvenir de nos chers disparus à été cependant sonnée plus allègrement que les messes habituelles. Il faut dire qu’à cette époque on entre dans la semaine sainte et surtout, vendredi saint n’est pas loin. Ce matin de vendredi saint, autrefois, si on se donnait la peine de prêter l’oreille, la brise matinale nous apportait les échos d’un joyeux ballet qui avait lieu dans les airs par delà les marais. Charlotte, Henriette, Marie-Louise, bien sûr notre Paule Mathilde et beaucoup d’autres encore ; s’envolaient dans un tintamarre joyeux en direction de Rome où, avec grâce de petites filles, elles recevaient la bénédiction de Saint Pierre.
Me voila partie dans la légende ! Tant pis, je continue.
Entre ce matin de vendredi saint et le matin de Pâques, il n’y avait pas d’Angélus, pas le moindre son de cloche pour donner l’heure. Il fallait se débrouiller sans.
Le matin de Pâques, oubliant la grasse matinée, les enfants sautaient hors du lit pour se précipiter au jardin, car la cloche revenue de Rome au cours de la nuit, bien chargée d’œufs, de cloches, de poules, de lapins le tout en chocolat. Il y avait aussi les œufs de poule qui avaient cuit dans du café, ou bien avaient été peinturlurés de toutes les couleurs. Doucement, sans bruit, elle avait déposé toutes ces friandises dans les jonquilles, les cœurs de Marie, les fritillaires enfin, dans tout ce qui pouvait constituer une cachette.
La collecte s’effectuait au milieu des cris joyeux et ne cessait que lorsque aucun papier brillant ne scintillait plus dans le soleil matinal. Il fallait aussi faire attention au chien de la maison qui participait lui aussi, à la fête. Il aimait, lui aussi, le chocolat ainsi que les œufs aussi bien crus que cuits. Quant il entendait chanter une poule il se glissait furtivement vers le nid que la poule venait de quitter, où il savait trouver un œuf tout chaud, tout croquant.
Pour l’heure il était parfois plus prompt à découvrir les « trésors » et il fallait faire vite avant que celui-ci ne soit englouti !
Si les « chasseurs de trésors » savaient où mettre les mains il n’en était pas toujours de même pour les pieds ; à la fin de l’opération, le jardin ressemblait plutôt à un champ de bataille au grand dam de la maîtresse de maison qui ne félicitait pas son monde. C’est le moins qu’on puisse dire…
Heureusement que ces évènements n’avaient lieu qu’une fois l’an.