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Oyes autrefois

 

Me voici dans cette maison où des générations de ma famille m’y ont précédé. Après avoir servi d’école pendant de nombreuses années, elle présente à un moment donné, des signes de vétusté ; le budget de la commune  étant très modeste, celle-ci ne pouvait supporter la charge des travaux qui en découlaient. C’est précisément à cette époque qu’à l’Instruction Publique se trouvait un ministre du nom de Jules Ferry, qui proclama la laïcité, la gratuité et l’obligation à l’école primaire. Pour cette saison de nouvelles écoles furent construites dans nos petits villages. A Oyes comme ailleurs l’ancienne école fut vendue par la commune à mes arrières grands-parents, pour la somme de deux mille six cent. Somme relativement importante vu le modeste revenu des acquéreurs, tous deux manouvriers. Car, s’il y avait beaucoup de petits propriétaires à cette époque, les manouvriers étaient nombreux.

La maison d’école fut transformée, ayant déjà son écurie il y fut ajouté une grange pour emmagasiner le foin et les quelques gerbes de blé,  d’avoine où orge qui constituaient la récolte de petits lopins de terre loués à quelque propriétaire qui ne pouvait pas les exploiter lui-même, étant trop âgé où n’habitant plus dans le village. On achetait un cheval pour tirer la charrue où la herse et effectuer les transports de fourrage, de moisson, du raisin, quand ce n’était pas le fumier qui tenait lieu d’engrais.

Il y avait deux où trois vaches selon comme on pouvait les nourrir et qui fournissaient le lait avec lequel la fermière faisait le beurre et le fromage qu’elle allait vendre le samedi au marché à la ville avec le cheval et la carriole quant il y en avait une, sinon c’était la voiture à moisson qui servait, là aussi.

Le beurre était tiré de la crème extraite du lait, que l’on faisait tourner dans une baratte sorte de tonneau monté sur pieds , à l’aide d’une manivelle alors, la crème avait rejeté le résidu liquide que l’on appelle le babeurre dans lequel flottait le beurre. Lorsque l’on ouvrait la baratte, le parfum était différent selon le genre de nourriture distribuée aux vaches : l’hiver, alors que celles-ci mangeaient des betteraves et du foin, le beurre était beaucoup moins parfumé qu’au printemps quand les vaches mangeaient de l’herbe fraîche.

Le beurre après avoir été lavé jusqu’à eau claire était battu dans les mains pour en extraire l’eau. Il était ensuite détaillé en demi-livre ou en livre que l’on pressait ou moulait plutôt, dans un moule, rond ou rectangulaire, avec dans la partie supérieure, une jolie vache ciselée dans le bois et qui laissait son image dans le pain de beurre. Lorsque le beurre était pesé, c’était bien rare s’il ne restait pas un morceau insuffisant  pour faire une demi-livre, or plus le reste était petit, moins on avait de chance de voir du beurre sur la table au petit déjeuner ! C’est dire que l’on n’avait pas souvent le plaisir de tremper notre tartine beurrée dans le bol de café au lait.

Pour ma part, je n’ai jamais eu le plaisir de trancher dans une motte de beurre avec la vache dessus, car elles étaient toutes destinées à la vente.

Le fait de dire « je coupe une corne, je coupe une patte, un bout de le queue, »était réservé à d’autres que nous.

Dans toutes les fermes, il y avait aussi, le cochon, que l’on nourrissait avec des pommes de terre, cuites, mélangées quelquefois à de l’orge, cuite, elle aussi ; dans un grand fourneau sorte de grande bassine en fonte emboîtée dans une « chemise » dont la partie inférieure était conçue pour y allumer du feu. Cet appareil était souvent placé à l’extérieur au pied d’un mur à tous les vents ; ce mur était noirci sur plusieurs mètres au dessus du foyer et ce noir tenace, ne disparaissait que très longtemps après qu’on eut enlevé le fourneau. Matin et soir, le cochon accueillait joyeusement le seau de nourriture que la fermière lui apportait et cela, pendant six mois environ. A l’entrée de l’ hiver, le cochon était tué et croyez-moi, peu de fermières consentaient à aller tenir la queue de la poêle glissée sous l’horrible plaie que le tueur lieu avait faite à la gorge car le sang était destiné à la confection du boudin. Il y avait toujours quelques larmes versées ce jour-là, si ce n’était pour ce pauvre cochon qui, somme toute, n’était pas méchant du tout il fallait pleurer en épluchant les oignons qui eux, étaient sans pitié… La journée entière, se passait sous le signe du cochon et la maison se remplissait de la bonne « … » odeur d’oignons fondus, de persil et de panne que l’on faisait fondre et pendant plusieurs jours cette odeur résistait ; elle nous suivait partout et s’imprégnait jusque dans les vêtements.

Le chien de la maison ne perdait pas une miette du spectacle, de même que les chats et tous avaient intérêt à ne pas trop s’approcher du cochon qui, après avoir été grillé sur un tas de paille que l’on avait installé au milieu  de la cour, puis gratté et lavé ; il était accroché à la civière que l’on dressait contre un mur. C’est à ce moment qu’il était ouvert et éviscéré avant d’être fendu en deux. Il restait ainsi plusieurs heures pour permettre à la viande de refroidir. Tout à sa fabrication du boudin ou de la charcuterie, le tueur surveillait du coin de l’œil, le chien où les chats qui risquaient à tout moment de prendre la pointure de sa botte ou son sabot… Les enfants aussi profitaient du spectacle, et les plus grands, donc les plus hardis, étaient l’objet de plaisanteries d’un goût que nous qualifierons de douteux car il était connu que les tueurs de cochon en général étaient dotés d’une verve et d’un vocabulaire peu châtié.

Le lendemain, la viande découpée en morceaux était salée et rangée soigneusement, dans de grands pots en grés appelés saloirs. Il en existait de grands, trente, quarante litres ; et lorsqu’ils étaient pleins il fallait les prendre à deux pour les descendre à la cave en les prenant par les anses les grands en avaient quatre, de façon a pouvoir les prendre à deux mains il arrivait parfois, que l’une d’elle se décolla et c’était la catastrophe. Cela n’arrivait pas souvent, heureusement. Le plus souvent, le saloir était placé à l’endroit qui lui était destiné et on  le remplissait sans le bouger. Quelques semaines plus tard la viande était sortie du saloir et suspendue dans un endroit sec et aéré ; quelquefois même aux poutres de la salle commune (de là, les nombreux clous que nous avons dû arracher ou casser lors des travaux de restauration !)

Il y avait l’élevage de lapins qui, lui, n’a pas totalement disparu ; dans la cour, les poules, les canards, les dindons quelquefois ; et aussi, et surtout les oies. Ces oies comme on n’en voit plus : ce n’était pas ces grosses oies grises, dont le pli de la culotte traîne sur le sol. Celles de Oyes, autrefois, étaient moins grasses et ayant les pattes plus dégagées, cela leur donnait plus d’aisance pour se déplacer. Si le jars était d’un blanc immaculé, la « bilotte » par contre s’offrait la fantaisie d’un caparaçon de plumes grises qui lui couvrait le dessus des ailes. Il y avait    des oies dans toutes les fermes en bandes de quinze, vingt, trente et, aux « grandes vacances, » les enfants devaient conduire dans les éteules laissées la moisson, pour les faire « glaner. » Au cours de la belle saison, on les plumait ; c'est-à-dire que la fermière s’installait assise sur un « billot de bois, » dans l’étable pour être à l’abri u vent, avec l’oie le dos collé sur les genoux, elle lui arrachait la plume sous le ventre, il ne lui restait que les plumes du dos et des ailes qui justement n’ayant plus de support traînaient de chaque coté de l’oiseau pendant quelques jours.

La plume était conservée pour la confection de volumineux édredons.

Si ce n’était pas les oies du Capitole, c’était cependant de bonnes gardiennes. Lorsqu’on marchait dans leur direction, elles s’éloignaient le cou dressé en faisant entendre leur ricanement ; mais il fallait prendre garde de ne pas leur tourner le dos, car si le jars était un peu pointilleux, il faisait vite volte-face et en silence, le bec en avant, au ras du sol il fonçait à la recherche d’un pan de jupon, d’une jambe de pantalon ou, tout simplement d’un mollet auquel il faisait un beau « pinçon » qui mettait plusieurs jours à disparaître. 

Je n’ai jamais rencontré de volontaire pour une telle épreuve !

A l’approche de Noël, beaucoup de ces oies étaient vendues au marché. Quelques-unes, cependant étaient réservées pour les couvées du printemps suivant, d’autres, pour la consommation familiale. Après avoir soigné la bête, dont on conservait soigneusement le sang, on la plumait, la grillait et après l’avoir vidée, on réservait la masse de panne qui se trouvait à l’intérieur. Cette panne, c'est-à-dire la graisse, était coupée en morceaux et mise dans une cocotte sur le fourneau. Lorsque cette graisse était bien fondue ; on extrayait au maximum le liquide huileux que l’on conservait dans des pots de grés et qui servira dans la cuisine. Parmi les anciens, qui n’a pas mangé de ragoût de pommes de terre accommodé à la graisse d’oie ? Qui n’a pas goûté, aussi, des haricots, des lentilles ou des choux cuisinés à la graisse d’oie ?

Après avoir extraite la graisse fondue de la cocotte, on ajoutait aux résidus, c'est-à-dire les « chons », un oignon haché menu avec du persil coupé fin, lui aussi, que l’on faisait suer doucement. Pendant ce temps, on écrasait le sang dans un bol avec une fourchette, après y avoir ajouté un morceau de mie de pain trempé dans du lait et cela bien finement. On versait le tout sur l’oignon fondu, mais non roussi et on mélangeait intimement avec sel et poivre pour ensuite laisser cuire à feu, très doux…

Les œufs des poules ou de canes étaient, eux aussi, vendus au marché, jusqu’au jour  où un commerçant vint à passer de maisons en maisons, pour acheter les produits de basse-cour et de beurre. Commerçant d’appelait le coquassier ou le coquetier, ceint de son large tablier de grosse toile bleue sur le devant duquel était cousue une grande poche dans laquelle il plongeait la main pour y faire disparaître la monnaie ou en extraire quelques, pièces, prix d’un lapin ou d’une douzaine d’œufs. Quand cette poche n’existait pas, elle était remplacée par une solide sacoche de cuir que le marchand portait en bandoulière. Si le coquetier achetait des produits fermiers, il vendait beurre et fromage aux personnes qui ne le produisaient pas elles mêmes. Je me souviens à cet effet du petit canif que ma grand’mère avait toujours dans la poche de son tablier. Lorsque le coquetier lui proposait un quart de « Brie «, elle sortait son couteau, l’ouvrait et de la pointe elle faisait une petite ponction dans le beau fromage à la peau velue pour goûter s’il n’était pas trop salé (…)

      Dans la voiture à cheval et plus tard automobile du coquetier, il y avait son indispensable peson qui lui servait, une fois planté dans le sac où étaient suspendus lapins ou poulets, à peser ceux-ci.

En tant que commerçants, les villages étaient sillonnés par des marchands de « confections », sous forme de pantalons de velours, de chemises de travail et aussi de chaussures : galoches à semelle de bois ou à clous, des chaussons pour mettre dans les sabots de bois et selon la saison, des charentaises tressés à semelle de cuir.

Il y avait aussi le bazar qui proposait toutes sortes d’objets utiles au bricoleur comme à la couturière. Je revois ce gros camion que l’on entendait arriver dans un bruit infernal et nous, les enfants, nous aimions beaucoup son inventaire, car il y avait aussi pour les enfants. Le brave homme savait à quel endroit du village, il pouvait se trouver sur le coup de midi ; il arrivait alors que tous, étions à table. Bien sûr, on lui mettait une assiette et il partageait notre repas. Nous les enfants, étions ravis car après le déjeuner, il y avait toujours un cadeau : un canif pour les garçons, une petite glace pour les filles quand ce n’était pas  un petit sac de jolies perles a enfiler pour la confection de ravissants colliers.

Les hivers se déroulaient à peu près toujours de la même façon : le grand père sciait tout le bois destiné au chauffage, avec la scie à bûches. Il fallait toujours scier, il était difficile d’en avoir des mètres  cubes d’avance à moins de scier des journées entières. Des vagabonds étaient embauchés quelquefois à cette tâche, lorsqu’ils avaient scié une matinée ou une journée où ils avaient été nourris comme il se doit ; ils dormaient dans la paille derrière le cheval ou les vaches. Le matin, après avoir englouti le canon de rouge avec un quignon de pain et de fromage il n’était pas rare que l’ouvrier occasionnel demanda un « acompte » ; quand il avait obtenu celui-ci, bien souvent, il reprenait le balluchon ou la malle à quatre nœuds et on ne le revoyait plus !

Le battage du grain occupait, lui aussi, pas mal de journées dans l’aire de la grange, le sol en terre battue était soigneusement balayé avec un balai de boule (bouleau) ou de genet. On y étalait des gerbes après avoir dénoués les liens et le batteur -quelquefois plusieurs- armé d’un fléau battait les gerbes à grands tours de bras. J’ai maintes fois observé ces gestes qui m’apparaissaient simples et faciles. Un jour que mon grand père avait laissé son outil, le temps d’aller à la maison pour puiser dans sa tabatière et fumer une cigarette loin de la paille, je ramassai le fléau et, moi aussi, je voulais battre ; mais, après quelques tourniquets, le lourd morceau de bois qui pivote au bout du manche vient une première fois, me frôler dangereusement le bout de mon nez pour finalement m’atterrir dans l’épaule. J’avais compris et je m’empressai de reposer l’outil à sa place et personne n’a jamais su combien j’avais mal !

Dans certaines fermes, la batteuse ou tripot avait heureusement, remplacé le fléau et c’est le cheval qui en marchant inlassablement sur un tapis de bois roulant qui actionnait la machine. Il existe encore de nos jours, ce bâtiment accolé à la grange que l’on  appelle manège, sa forme circulaire représente a mes yeux un certain charme et il serait bon de les voir restaurés. Des entrepreneurs venaient aussi avec une batteuse qu’une chaudière toute de cuivre rutilante faisait tourner. Elle était alimentée, cette chaudière, avec de grosses briques de charbon de plusieurs kilos. Nous, les enfants, étions fascinés par les poids sphériques fixés au bout de tringles et qui tournait sur le dessus de la machine à l’aide d’un axe pour servir de régulateur. Les agriculteurs du village se groupaient et mettaient leurs chevaux en commun par aller chercher ces machines au village voisin. Il y avait toujours sept ou huit hommes souvent des vagabonds qui « suivaient » la batterie, cela faisait une bonne tablée aux heures des repas. Ainsi, dès que la machine tournait, la fermière s’affairait et bientôt la potée de petit salé, lard, choux, pommes de terre et carottes répandait ses effluves dans toute la maison. Le civet de lapin figurait, lui aussi, souvent au menu. Dès que le coup de sifflet, semblable à celui de la locomotive, retentissait, il fallait que la table soit mise les bouteilles de cidre ou de « pique » arrivés sur celle-ci et que le pain soit trempé dans la soupière. Il fallait se méfier : si certains mangeaient peu, par contre, ils buvaient bien et si le canon n’arrivait pas assez vite sur le tas, ils avaient soin de réclamer dans l’après-midi. Si l’un d’entre eux trébuchait, par mégarde, il invoquait toujours un prétexte, soit un objet qui l’avait gêné où des gerbes mal placées (…)

Lorsque le tas de gerbes tirait à sa fin, les squatters, c'est-à-dire les rats et les souris qui pensaient bien passer l’hiver au chaud avec la nourriture sur place, détalaient dans tous les sens, entre les pieds des « batteurs ». Si le chien de la maison était assez brave pour se glisser derrière la batteuse, il lui était donné l’occasion de faire une bonne chasse.

La journée terminée, tous les ouvriers sortaient de la grange, bien gris de poussière, ils étaient méconnaissables. Un grand baquet d’eau tiède et quelques morceaux de savon de Marseille étaient bien venus.

L’hiver tirant à sa fin, chacun reprenait le chemin du « Haut-Chêne » pour aller tailler la vigne. Les sarments étaient bottelés et conservés pour allumer le feu à la maison. Au mois d’avril, quand les journées étaient ensoleillées, les femmes partaient, elles aussi, à pied, pour attacher la vigne à l’aide de joncs. Ceux-ci, serrés en botte étaient roulés dans un linge humide afin de leur conserver leur souplesse. Certaines personnes liaient avec la botte de joncs placée dans une sacoche suspendue à la ceinture, d’autres, comme par exemple ma grand-mère, mettait sa botte de joncs, tout simplement, dans son tablier qu’elle portait assez large et qu’elle relevait et prenait dans sa ceinture. Je l’ai connue avec le bagnolet sur la tête jusqu’au jour où elle l’a troqué contre un large chapeau de paille sur lequel elle plaçait un cordon qu’elle nouait sous son menton ce qui avait pour effet de serrer les bords sur ses oreilles.

Bien souvent, nous partions le matin avec dans le panier d’osier le repas de midi qui était soit dit en passant le meilleur moment de la journée pour moi. J’avais pour mission, d’aller chercher la bouteille de pique qui avait été mise au frais dans la fontaine. L’appétit était bon pour chacun, le morceau de salé froid était le bienvenu avec la salade de chattelute (nom courant donné à une planta appelée aussi laitue sauvage que l’on cueillait dans les terres de culture. Le printemps venu malheureusement les méthodes de culture moderne ont eu raison de cette plante qui poussait spontanément.) A laquelle on avait parfois ajouté des œufs durs. Les cives figuraient, elles aussi, au menu ; elles étaient soit émincées  ou plus souvent on les croquait en mangeant la de cochon ; elles ne faisaient pas défaut, il y en avait dans toutes les vignes.

Le travail de la vigne se poursuit une bonne partie de l’année et nous pouvions suivre l’évolution de la végétation au fil des jours. Au printemps, par exemple, quand la vigne « débourrait » il fallait faire attention aux bourgeons et bien souvent je me faisait expulser car à sept ou huit ans on a plutôt les gestes maladroits ! Je me souviens, une fois, j’avais cassé deux bourgeons, involontairement bien sûr, je m’étais empressé de les ramasser pour les glisser dans la poche de mon tablier afin que personne ne les voie. Ayant eu besoin de mon mouchoir, je tirais étourdiment celui-ci et devinez qui sont tombés par terre, sous le nez de mon grand-père ? Les bourgeons… «qu’est-ce que c’est que ça ? » La phrase était courte, mais le regard en disait long…Le cheval qui tirait la machine à débuter, ne devait pas casser de bourgeons, lui non plus, il ne se faisait pas disputer lui, il n’y aurait rien compris c’était donc celui ou celle qui le menait à la bride qui encaissait, les invectives.

Quand le vent était du « haut », il nous arrivait d’entendre l’angélus sonné à l’église de Villevenard et qui nous provenait par de dessus les marais. C’était donc l’heure de goûter et tout en grignotant mon pain et mon chocolat, je contemplais le merveilleux panorama qui s’offrait à nos regards. J’aimais ce marais dont les vordes formaient comme un moutonnement qui s’étendait à l’infini. Plus près de nous, sur les collines, le vent jouait avec les seigles qui ondulaient nonchalamment sous l’effet de son souffle. Quelquefois, avant de prendre le chemin du retour, la journée terminée, nous allions rendre visite aux habitants du Haut Chêne, car il y avait des hommes, plus très jeunes, pour qui le chemin des vignes était pénible à monter chaque jour, ils avaient donc aménagé leurs cabanes pour y vivre du lundi au samedi soir. Le mobilier se composait d’un lit de fer sur lequel était posé une paillasse de paille de seigle sur laquelle était un lit de plume, un oreiller et une ou deux couvertures de « soldat » complétaient la couche. Une petite table, deux ou trois chaises de paille et  un poêle de bûcheron formaient le mobilier avec, fixée à la cloison, une étagère qui tenait lieu de placard, sur laquelle était rangés la boite au café en fer blanc, le sel, le poivre, et quelques accessoires composant le minimum de batterie de cuisine. Ces vignerons apportaient donc leur ravitaillement pour la semaine, les salades, ils les faisaient pousser dans les rangs de vignes de même que les pommes de terre et les haricots. Un collet habilement tendu en bordure du bois, prenait de temps en temps, soit un garenne ou un lièvre, qui fournissaient la viande quand ils n’étaient pas troqués contre quelques litres de rouge

Un jour, de retour des vignes, ma grand-mère, eut une désagréable surprise. Sur la fenêtre donnant sur la rue, elle était fière de son beau pélargonium, fruit d’une bouture offerte par la fermière de la Lune ou Petit-Saint-Gond. Ce pélargonium était devenu, grâce aux bons soins de sa propriétaire, une magnifique potée couverte de fleurs. Or, ce soir là la place était vide ! Plus de pot, plus de fleurs !... Baissant les yeux, la pauvre grand-mère, sut tout de suite quel chemin  le disparu avait emprunté. Les fragiles pétales semés de place en place, tels les cailloux du petit Poucet, indiquaient la direction à suivre. Et voici, ni une ni deux notre Maria partie au rythme de sa démarche altière ; malgré la fatigue d’une  journée de labeur ; sur les traces de son chouchou qui la conduisirent vers Saint- Gond par la sente aux moines. Arrivée à la Lune car c’était bien là que se trouvait l’objet du délit elle découvrit le pélargonium en bonne place sur la fenêtre de la salle commune. Elle ne prit même pas le temps de l’admirer et pourtant, Dieu sait, s’il faisait joli, dans la petite cour de ferme qu’il égayait si bien avec ses jolies fleurs roses ! Sans un mot, sans même un regard pour la mère Lucie toute penaude sur le seuil de sa maison ; elle prit le pot et la potée à bras le corps qu’elle rapporta à Oyes, elle en eut mal dans les bras pendant plusieurs jours.

L’histoire ne dit pas, si, et là je doute si  mère-grand a eu la gentillesse de redonner une bouture à la personne qui lui avait procuré ce plaisir quelques mois plus tôt. Peut-être, grand-mère Maria se faisait elle tirer l’oreille pour ce geste qu’elle ne se décidait pas à accomplir ; ce qui a valu au pélargonium d’effectuer cette promenade…