LA MAISON

 

 

Je revois cette maison telle que je l’ai connue autrefois, avec son four à pain jouxtant l’alcôve. Dans cette alcôve ma grand- mère y dormait ainsi que moi-même pendant les vacances d’hiver. Ces hivers rigoureux comme on n’en connaît plus maintenant, qui obligeaient à calfeutrer, chauffer avec les moyens du bord. Dans la maison, seule la cuisine ou salle commune bénéficiait d’une chaleur constante, la chambre était pourvue d’un poêle à bois qu’on n’allumait que quelques heures avant d’aller au lit. Il va sans dire que la température y était loin d’être agréable. Une fois déshabillé il ne fallait pas traîner avant de se glisser dans les draps, quelquefois tiédis par une bouillotte ou, tout simplement, une brique chaude. Les lits étaient garnis de façon douillette pour supporter les grands froids. Avant d’êtres équipés de sommiers, une simple paillasse constituée de paille de seigle enveloppée dans une toile de jute en tenait lieu. Dessus, était disposé un gros, parfois deux, lits de plume, en guise de matelas et sur les draps et couvertures, reposait un imposant édredon de plume d’oie bien rebondi. Ces hivers, j’en ai déjà parlé, les gens étaient occupés à divers travaux. Le battage du grain qui s’effectuait, d’abord au fléau avant l’apparition de la batteuse, le sciage du bois à la scie à main, était, avec le ressemelage des sabots réservé au travail des hommes, tandis que les femmes s’adonnaient aux travaux de couture, tricot ou, tout simplement au triage des haricots cultivés en abondance pour procurer le principal légume d’hiver à la mode en ce temps là.

Le printemps revenu, le jardin  potager qui tenait lieu aussi, de jardin d’agrément était la principale occupation des femmes, en dehors de la vigne. Dès la fonte des neiges, on y découvrait les premières fleurs, tout d’abord les roses de Noël qui avaient fleuri, comme leur nom l’indique si bien, à l’époque hivernale. Venaient ensuite les perces neiges, après, les violettes faisaient leur apparition, de même que les jonquilles qui illuminaient les plates bandes avec leurs corolles jaunes. A la suite, les cœurs de Marie et les roses à mille feuilles ou pivoines de leur vrai nom, les lys aux larges corolles blanches embaumaient  le jardin. Autrefois les pétales des lys servaient, après macération dans l’eau de vie, à cicatriser les plaies.

Les dahlias, plantés au printemps constituaient la décoration estivale. Quelques sachets de graines, donnaient naissance, eux aussi, à des fleurs. Je me souviens des Reines Marguerites et des zinnias que ma grand-mère semait, pratiquement tous les ans. Sa passion était, sans aucun doute, les pensées. Elle en faisait des planches entières comme on ferait avec des salades ou des choux. Lorsqu’elles étaient en pleine fleur, on avait l’impression d’être observé par une multitude de petites frimousses.

 

 Les fleurs de lys macérés dans l’eau de vie m’amènent à parler de l’alambic et, bien sûr, des vendanges, les vignerons livraient leur raisin à un négociant comme cela se fait, encore aujourd’hui pour certains. La champagnisation est devenue à la mode se généralisa bientôt pour la plupart des vignerons. Ce qui existe encore de nos jours. Mais la livraison du raisin n’est pas totalement disparue pour autant. J’y reviendrai, le moment venu.

Autrefois donc, ils en gardaient un peu pour faire du vin rouge pour leur consommation personnelle. Après avoir méthodiquement écrasé le raisin, ils le plaçaient dans de grandes cuves, où ils le laissaient fermenter quelques jours, pendant lesquels ils foulaient aux pieds le moult pour le tasser afin qu’il soit toujours recouvert par le liquide obtenu. En plus de cette opération, il fallait l’arroser, c’est-à-dire, la cuve était munie de cannelle par laquelle on tirait le vin dans un cuveau de bois et on arrosait la préparation plusieurs fois par jour. A la suite de la fermentation, le vin était soutiré à plusieurs reprises après l’avoir laissé décanter entre chaque opération.

Lors que le vin était définitivement tiré de la cuve, il était remplacé par de l’eau additionnée de sucre qui, après une nouvelle fermentation donnait la piquette qui tenait lieu de boisson journalière. Au début de la fermentation, ce breuvage, peu alcoolisé était assez agréable à boire, mais plus le temps passait, plus la piquette méritait son nom.

Encore un mot au sujet de la livraison du raisin. Les vignerons rapportaient des marcs qu’ils enfermaient dans un tonneau, parfois même enterrés à même le sol et le laissaient ainsi plusieurs mois avant de distiller la préparation afin d’obtenir le marc, proprement dit. C’est-à-dire de l’eau de vie destinée à divers usages, comme le pousse-café, les grogs pour se réchauffer l’hiver, ou macérer les cerises ou bien encore les framboises ou tout autres fruits.

Tout comme les agriculteurs avec la batteuse, les vignerons allaient avec leurs chevaux au village voisin chercher l’alambic qui se présentait sous forme de gros chaudrons de cuivre montés sur roues. Elle était toujours stationnée près de la remise à pompe, car il fallait beaucoup d’eau au bouilleur de cru pour pratiquer cette opération. En apportant ses marcs ou ses fruits, chacun apportait le bois nécessaire à la cuisson. Pendant toute la durée de la présence de cet appareil, ses effluves  embaumaient la totalité du village.

  

Le travail de la vigne m’à laissé une foule de souvenirs que j’ai déjà développés par ailleurs. Moi enfant, je n’étais pas très bien vue dans la vigne, surtout au printemps au moment où les bourgeons « débourrent ». Il fallait faire  attention de ne pas trop en casser. Eh oui ! Un bourgeon c’était quelques grappes en moins à couper à la vendange ! Une fois, ainsi que cela m’arrivait quelquefois, j’avais maladroitement cassé deux ou trois de ces bourgeons et, comme à mon habitude, je les avais glissés dans ma poche et, c’est le cas de le dire, avec mon mouchoir par-dessus. Ayant besoin de celui-ci, je le tirai et les bourgeons ont suivi ! Pour choir sous le nez de mon grand père ! Je n’étais pas fière.

-« Qu’est-ce que c’est que ça ? »

La phrase était courte, mais le regard en disait long ! Je m’en suis tirée pour cette fois, et cela m’est resté en mémoire malgré les nombreuses années écoulées depuis.

Un autre incident autrement plus grave m’avait marquée de manière significative que, là non plus je ne devais oublier. Le meilleur moment de la journée était l’heure du goûter, je vois toujours ma  grand-mère s’installer au bout de la vigne et s’apprêter à tirer ce fameux goûter de son panier. Auparavant, j’avais eu pour mission d’aller chercher la bouteille de boisson qui avait passé l’après midi dans l’eau fraîche de la source qui à l’époque coulait dans le bois qui bordait la vigne. Je revenais, toute heureuse avec ma bouteille, lorsque j’entendis des cris de frayeur poussés par ma grand-mère qui courait dans tous les sens, de loin je ne voyais pas ce qui pouvait l’affoler de la sorte. C’est alors que mon grand père me fit signe de ne pas approcher ce dont pourquoi je ne comprenais toujours pas. Il s’agissait, tout simplement du fait que ma grand-mère s’était assise sur un nid de guêpes qui visiblement, n’appréciaient pas une pareille intrusion sur leur territoire. Il y en avait eu d’abord deux ou trois qui tournaient autour d’elle ainsi que cela arrivait souvent étant attirées par les victuailles. Sur le moment, elle n’y prêtait pas trop attention jusqu’à  l’instant où un véritable essaim qui tourbillonnait  elle fut piquée de multiples fois par les insectes qui la poursuivaient. A tel point qu’elle dû garder le lit plusieurs jours en proie à une forte fièvre due à un hérésypèle (je ne suis pas sûre de l’orthographe). Elle y perdit tous ses cheveux. Elle aurait pu en mourir.

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