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Un curé, sa bonne, sa chienne et le chat

 

Vers la fin du XIX° siècle, l’abbé Salomon, devenu propriétaire du prieuré de Saint Brisson est venu l’habiter pour y couler une retraite paisible. Outre le service de la paroisse de La Bonneville toute proche et les prières, il s’adonnait à la recherche de l’histoire de la région en général et, en particulier celle du prieuré. Il écrivit, ainsi de nombreux ouvrages concernant ce dernier qui, avant de devenir un simple prieuré, était, à l’origine, une abbaye pour ensuite devenir un monastère. Durant des siècles ce monastère ou cette abbaye levait des impôts dans toute la région.

 

Hormis les études et les écritures, l’abbé cultivait les quelques parcelles dépendant du prieuré disséminées un peu partout sur le territoire de la commune. Je n’ai jamais su s’il avait un cheval pour travailler la terre ou si c’était un cultivateur de La Bonneville qui lui réalisait les gros travaux. Quoiqu’il en soit, c’était mon grand père qui lui fauchait sa moisson avec sa faux, ainsi que cela se faisait à l’époque.

 

Ici je dois ouvrir une parenthèse. Ce bon curé ne vivait pas seul. Il était servi par Eugénie, une maîtresse femme qui, outre ses services, ne se gênait pas avec son vénérable maître qu’elle « saboulait » à tout bout de champ. Sa plus fidèle compagne était, sans aucun doute, sa bonne chienne appelée Myrza qui l’accompagnait partout où il se rendait, sauf bien sûr, lorsqu’il célébrait la messe. Il y avait aussi, dans les lieux un gros matou gris, comme son nom le disait si bien, appelé Mistigris.

 

Par une belle journée d’août, où le soleil tapait dur, mon grand père, hissant la faux sur son épaule, après avoir passé le b’vat ou buvat* dans sa ceinture, s’en va, accompagné par ma grand-mère armée de sa serpette qui lui servait pour enjaveler et maman, âgée d’une douzaine d’année, qui fermait la marche, partirent par la sente des Saints, en direction de Saint Brisson,  pour moissonner la modeste récolte de l’abbé.

 

Arrivés à destination, nos moissonneurs constatent rapidement que l’atmosphère n’est pas au beau fixe ! Le brave curé affiche un air penaud, inhabituel chez lui. Eugénie, quant à elle, elle arbore sa tête des mauvais jours !

 

Mon grand père qui la connaît bien pour être, comme elle, natif du village, lui pose la question rituelle – Qu’est ce qu’il y à Eugénie t’en fais une g… ?

 

Et Eugénie d’exploser en lorgnant du côté de l’abbé, appuyé au chambranle de la porte de la cuisine : -- Tais-toi donc ! Ce gros…suivait un terme fort irrévérencieux, à envoyé Mirza après Mistigris. La moutarde m’a monté au nez, j’avais la soupière dans les mains et je l’ai collée au plafond !

 

Dans un beau mouvement d’ensemble, voila trois paires d’yeux braquant l’endroit désigné où une large tache laisse encore tomber quelques gouttes retardataires provenant de la potée destinée au repas de midi. Le carrelage de la pièce et les meubles étaient maculés par des taches graisseuses sommairement essuyées.

Plus ou moins indifférent à cette tirade, le bon curé, le regard perdu par dela les futaies, demeurait imperturbable, habitué qu’il était, aux sarcasmes de son « employée ».

 

Suite à cette algarade, nos moissonneurs jugèrent prudent de ne pas trop s’attarder et se mirent tout de suite à l’ouvrage. L’après midi calma un tant soit peu l’orage.

 

Ils eurent même droit à un rafraîchissement avant de prendre le chemin du retour.

 

Tout le monde avait très surpris par le manque de respect manifesté envers ce vénérable curé que les paroissiens considéraient avec déférence partout où il officiait. La plus choquée fut certainement maman et elle ne devait jamais oublier cet incident.

 

 

 

Mars 2003 A.D.