Baptiste

 

 

 Je n’ai jamais oublié ces années de mon enfance, c’étaient pour moi des années d’insouciance, bien loin des problèmes des adultes. On devait se contenter de peu. On voyait partir ses parents au travail, imités en cela par les grands parents, qui ne connurent de la retraite que l’usure provoquée par les ans et aussi le dur travail de la terre. La pension vieillesse n’existait pas à cette époque et les gens, non pas âgés, mais plus tout jeunes, devaient se débrouiller pour subvenir à leurs besoins.       

Pour ma part, j’avais l’âge de fréquenter l’école et attendre impatiemment les grandes vacances qui me ramenaient chaque été chez mes grands parents. Cette époque compte parmi mes plus beaux souvenirs. Certaines personnes qui me liront sauront de quoi je parle même si cela n’est pas développé… J’ai, à ce propos, le sentiment de ne leur avoir pas suffisamment su manifester ma reconnaissance. Quand on est pris dans un engrenage, il n’est pas toujours facile de s’en sortir. Cela ne m’empêche pas de culpabiliser et je considère que c’est un peu mince comme excuse.            

Des souvenirs j’en ai encore plein la tête et je ne résiste pas à l’envie de les relater, même si j’ai l’impression de me répéter. Nombres de faits, je pense, méritent être mis au jour et en les évoquant, je les revis une deuxième fois.

Je revois les animaux qui peuplaient la « petite » ferme de mes grands parents. Petite, elle l’était réellement. Il y avait, tout d’abord le cheval qui était là pour effectuer les labours et les travaux de cultures que nécessitaient les quelques arpents de terre. Sur ces terres étaient récoltés un peu de blé, seigle, orge et fourrages pour la nourriture des animaux. Outre le cheval, il y avait aussi, deux ou trois vaches dont le prix du lait « ramassé » chaque matin par le laitier, nourrissait le ménage. Ces vaches restaient les trois quarts de l’année à l’étable. Elles n’en sortaient que l’été, après la moisson. C’est ma grand-mère qui se chargeait de les conduire dans les champs moissonnés, où l’herbe poussait généreusement dans les chaumes. Il fallait les surveiller étroitement afin qu’elles ne s’égarent pas dans les propriétés voisines. Ce qui n’était pas évident quand on sait que la plupart des champs mesuraient à peine plus de trois mètres de large. Le voisin avait, lui aussi, des vaches à nourrir et quand il ou elle (car c’étaient plutôt les fermières qui s’acquittaient de cette tâche), voyaient des bêtes à proximité de leur champ, elles ne trouvaient rien de mieux que d’amener, elles aussi, leur troupeau dans les parages afin de sauvegarder la pâture de leurs animaux !

 

 

 

La situation se corsait à ce moment là quand les bêtes voulaient « faire connaissance ». A cet effet des propos peu amènes étaient parfois échangés. Cela pour deux ou trois touffes d’herbe.

                                                                                                                                                                                                                                 

Quand on allait dans les terres à proximité du village, il n’y avait pas de problèmes pour accompagner ma grand-mère, j’étais partante. Lorsqu’il était question de se rendre dans d’autres, éloignées de deux kilomètres au moins, j’étais beaucoup moins chaude, à six ou sept ans, on n’a pas de grandes jambes. Ma grand-mère me disait alors : -« Viens, Baptiste vient avec nous ! ». Enfin décidée, je partais alors, à la traîne, pour ce je considérais comme une corvée.

 

Nous partions donc, ma grand-mère, avec à son bras son panier de rotin noir pourvu d’un couvercle, dans lequel elle avait rangé sa couture. En fait son raccommodage, car il était plus souvent question de cela. Il fallait faire durer les vêtements, surtout les chaussettes.

Il y avait aussi le grand parapluie de cretonne bleue qui nous servait d’abri quand il faisait trop de vent ou bien pour nous protéger de la pluie. Dans le milieu de la matinée, quand un petit creux se faisait sentir, ma grand-mère tirait de son panier une orange, une pomme quand ce n’était pas une barre de chocolat, pour nous permettre de tenir jusque midi.

 

Autour de nous gambadait une sorte de grosse boule de poils de couleur indéfinie : ni vraiment marron ni vraiment blanc. Ses poils étaient tellement fournis, que, de loin il était difficile de distinguer la tête de l’autre bout.  N’étant jamais brossé, il se promenait avec d’énormes pelotes de poils surtout sur ses  cuisses. Il était mon compagnon de jeu et d’une gentillesse sans limite. Cet animal hirsute avait pour nom Baptiste. Une année, les vacances se terminant, je rentrai chez mes parents, non sans avoir prodigué une dernière caresse à Baptiste. Les mois passèrent en classe et j’en oubliais peu à peu le chien. J’étais tellement sûre  de le retrouver aux prochaines vacances. Ces vacances arrivée, je débarque une nouvelle fois avec mon baluchon. La première chose que je remarque, c’est l’absence de Baptiste qui, habituellement, ne manquait jamais de foncer sur moi pour me faire la fête. A ma question, ma grand-mère, un peu gênée, me donna une explication qui ne me laissa qu’à moitié convaincue.

 

Selon la version qui m’à été fournie, des romanichels, ainsi qu’on les nommait autrefois, étaient passés et ayant trouvé beau (?) notre bon vieux chien. Mes grands parents éprouvant quelques difficultés pour le nourrir, ici, nouveau point d’interrogation, avaient donné Baptiste a ces errants.

                          

                                                                                                                                     

Longtemps je cru à cette fable et ce n’est qu’il y à une vingtaine d’années que j’appris enfin la vérité et je ne suis pas vraiment sûre de l’origine de la mort de mon vieux compagnon, car bien sûr, il mourut à cette époque éloignée. Ce que l’on m’avait soigneusement caché au point que je doute encore.

 

Mes grands parents avaient pour voisin, un individu irascible, avec lequel ils n’étaient pas forcément en bons termes. Ce voisin était chasseur et possédait plusieurs chiennes. Les cours de fermes n’étant pas closes, la plupart du temps, Baptiste, en bon chien qui se respecte, allait offrir ses services à ses consoeurs , ce que le voisin ne voyait pas d’un bon œil et qui ne trouva rien de mieux que de lancer une tartine de mort aux rats au malheureux chien qui s’empressa de la ramasser. Il est mort dans d’atroces souffrances que l’on devine aisément.

 

On est forcé de constater jusqu’à quel point peut conduire la cruauté ou tout simplement la bêtise humaine car ce rustre n’à jamais brillé par son intelligence…

 

 

            

 

 

A.D.  20-11-2007

 

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